- Les contes délivrent des messages universels qui aident l’enfant à grandir
En fait, depuis la découverte de l’inconscient par Freud, nombre de travaux issus de disciplines variées – histoire, littérature, sociologie, psychanalyse – l’attestent : la force invincible des contes tient à ce qu’ils touchent les profondeurs de l’âme, là où s’affrontent avec violence les forces du bien et du mal et où se cherche le sens de la vie. À travers images et situations symboliques, les contes délivrent des messages universels qui aident l’enfant à grandir. Ainsi le psychiatre Bruno Bettelheim fut le premier à affirmer dans son livre majeur Psychanalyse des contes de fées, paru en 1978 : «Tout en divertissant l’enfant, le conte l’éclaire sur lui-même et favorise le développement de sa personnalité». En effet, dès son plus jeune âge, l’enfant éprouve des angoisses et des peurs qui touchent aux relations dans la famille (rivalité fraternelle, crainte d’être abandonné, inceste, etc.), ou le concernent directement dans son développement (confiance en soi, renoncement à sa toute-puissance infantile, etc.). Autant de tensions et de difficultés internes que le jeune enfant ne sait pas encore maîtriser. Or, les contes lui permettent de s’identifier à des héros qui ont les mêmes problèmes que lui (l’abandon dans le Petit Poucet, la jalousie fraternelle dans Cendrillon, la mort d’un parent dans Blanche-Neige, etc.) et auxquels ils savent trouver des solutions : l’un demandera de l’aide à plus fort que lui, l’autre rencontrera un animal bienveillant et protecteur… Et au bout du compte, une fin heureuse récompensera le héros courageux : « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.»
- La violence qui traverse ces histoires n’est jamais gratuite
Pourtant, malgré l’avidité de leurs enfants, certains parents sont encore réticents à leur raconter ces histoires anciennes ou inventées plus récemment selon la même structure initiatique, les jugeant trop cruelles. Ainsi, Élisabeth Soulier, maman d’une petite fille de 5 ans, explique son choix : «La violence est partout aujourd’hui, dit-elle. Dans la rue, au cinéma, à la télévision. Je ne vois pas l’intérêt d’en rajouter en racontant à ma fille des histoires de méchant loup ou de vieilles sorcières au nez crochu. Je préfère des histoires plus douces.» Certes, les contes traditionnels regorgent d’horreurs, d’enfants mangés par des ogres et abandonnés à la misère et à la solitude, de forêts hantées, de menteurs, d’injustices, etc. «Pour autant, explique Yannick Jaulin, conteur professionnel et dont les créations ne sont pas exemptes de dureté ni de cruauté, cette violence est structurante à la différence de celle que l’on rencontre dans la vraie vie. La violence qui traverse ces histoires n’est jamais gratuite mais est nécessaire au passage d’une étape, à l’acquisition d’un savoir-faire ou mieux encore d’un savoir-être.» Et de justifier ainsi la férocité du loup dans Les Trois Petits Cochons : «S’il ne mangeait pas les deux premiers cochons, comment l’enfant comprendrait-il que pour grandir il faut renoncer à rester petit ?».Quoi qu’il en soit, depuis les années 1970, ces figures imaginaires ne cessent de sortir des maisons pour aller raconter leur vie sur la place publique. Désormais, enfants, adolescents et adultes peuvent les rencontrer et les écouter sur le bitume des cités, les ondes de la radio, dans les bibliobus, les bibliothèques, les centres de loisirs, mais aussi dans des groupes de développement personnel ou de débat, des ateliers et même à l’hôpital ou en prison. Et les conteurs se font artistes à part entière. On en dénombre un millier pour la France, dont la moitié affirme en vivre. «Ce qui me semble tout à fait intéressant, note Françoise Coulimon, elle-même conteuse bénévole et qui suit les festivals du conte depuis leur création, c’est que le conte ne se limite plus à la sphère enfantine et ne passe plus seulement par la lecture, les marionnettes, le théâtre ou le cinéma pour enfants…».
- Le conte n’a pas fini de tirer le fil de l’histoire de l’humanité
Et d’ajouter avec humour : «Nous les conteurs, nous offrons nos histoires à tous ceux qui, quel que soit leur âge, veulent grandir et refusent de vivre idiots.» Ambition démesurée pour cet art qui nous vient de la tradition orale populaire ? Pas si sûr. En effet, l’universalité et la profondeur symbolique des contes leur permettent d’être lus, relus, racontés maintes et maintes fois à n’importe quel âge et dans n’importe quel contexte. En témoigne Laurent Foumil, père de trois jeunes enfants : «Ma femme est médecin généraliste et ne rentre jamais avant 21 heures le soir à la maison. Du coup, c’est moi qui assure le coucher des enfants et naturellement j’ai pris l’habitude de leur raconter une histoire chaque soir. En fait, dit-il, je réalise à quel point ces histoires ancestrales et d’autres plus modernes comme Harry Potter de Joanne K. Rowling ou Le Seigneur des anneaux de J. R. Tolkien me parlaient et me faisaient du bien, à moi comme parent.» Et il ajoute : «Après tout, nous n’en avons jamais fini avec nos conflits inconscients et avec notre difficulté de grandir et de devenir nous-mêmes.»Yannick Jaulin, l’un de ces néo-conteurs, auquel est associé le monde farfelu de Pougne-Hérisson, village des Deux-Sèvres dont il a fait le «nombril de la terre», n’hésite pas à affirmer que «dans une société comme la nôtre, traversée par toutes sortes de mutations déboussolantes, le conte est une parole qui doit aussi être entendue par les adolescents, les parents et les grands-parents. Car, dit-il, le conte réconforte, enseigne, guide chacun tout en créant du lien entre tous.» Éducateur de rue à Marseille, Franck Libernois parle lui aussi «des vertus rassembleuses» des histoires que les adolescents à la dérive viennent écouter chaque vendredi soir dans un local prêté par une paroisse de la commune. «Il y en a pour tous les goûts et toutes les traditions, dit-il, puisque ce sont des parents bénévoles africains, maghrébins, asiatiques qui animent chaque soirée et la musique est assurée par les jeunes eux-mêmes. Mais au bout du compte, on a l’impression de former la même communauté et d’affronter les mêmes défis humains » Le conte n’a pas fini de tirer le fil de l’histoire de l’humanité.
Article de Agnès Auschitzka, paru dans La Croix du 28 mars 2007.
Grâce à vous nous voyons l'interet de presenter des contes aux enfants..
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